Triptyque sur l’inclusion
L’appartenance est un besoin fondamental pour les ĂŞtres sociaux que nous sommes. Je vous propose un triptyque sur l’inclusion qui l’explore dans trois ouvrages très diffĂ©rents : une fiction, un documentaire, une autobiographie. Voici de quoi repenser la contrainte comme gĂ©nĂ©ratrice d’actions.
Quand l’actualitĂ© actualise
J’avais rĂ©digĂ© ce texte il y a quelques temps, et son introduction parlait de coĂŻncidences. Il me semble Ă prĂ©sent que l’actualitĂ© de la CoVid 19* invite Ă une nouvelle introduction, actualisĂ©e. En effet, quoi de mieux que le confinement pour nous faire vivre une forme d’exclusion, qui en ricochet, appelle la rĂ©flexion sur l’inclusion? En pĂ©riode de confinement, nous sommes empĂŞchĂ©s. EmpĂŞchĂ©s de circuler comme bon nous semble, empĂŞchĂ©s de nous rencontrer physiquement, empĂŞchĂ©s de nous soigner pour certains, empĂŞchĂ©s d’apprendre pour d’autres… Alors que les effets de l’isolement sont longuement commentĂ©s, il m’a semblĂ© intĂ©ressant de comprendre en quoi l’exclusion pouvait nourrir l’inclusion.
Si je l’Ă©cris autrement: le rejet pourrait-il ĂŞtre une force motrice en faveur de l’inclusion? Voici donc trois livres qui abordent ce sujet, sous des angles diffĂ©rents, le fameux triptyque sur l’inclusion.
La tache (the human stain), Philip Roth
Dans ce roman de l’AmĂ©rique de l’après-guerre, l’intrigue commence le jour oĂą Coleman Silk, doyen Ă la peau claire de l’universitĂ© d’Atlanta, est accusĂ© de racisme pour avoir prononcĂ© le mot de spooks en classe. Dans son acception originelle, spooks signifie fantĂ´mes ou espions. Mais spooks dĂ©signe aussi de façon pĂ©jorative les Afro-amĂ©ricains dans le langage argotique.
Dès lors, Coleman Silk entreprend un combat féroce pour se défendre du racisme dont l’accusent deux étudiants puis bientôt le campus et la ville tout entière. Cette férocité est à la hauteur de la violence des mécanismes de rejet à l’œuvre silencieusement depuis bien plus longtemps en Amérique. Des mécanismes qui ont marqué le doyen Silk. Nous découvrons comment un mot interprété dans sa forme excluante, peut en cascade, déclencher l’exclusion de son auteur, dans une répétition tragique d’une histoire fractale. Nous comprenons enfin ce qui pourrait avoir amené Coleman Silk à prononcer ce mot ambivalent.
Mismatch, Kat Holmes
Cet ouvrage à visée éducative, se veut descriptif des enjeux d’inclusion dans le design[1].
Le sentiment d’inclusion vient de ce qu’il se passe à l’interface avec le monde. Or les produits et les environnements que nous concevons, en plus de nos interactions humaines, en sont les media. Comment faire pour que ces media soient accessibles au plus grand nombre?
Dans la conception de produits, le choix du pĂ©rimètre d’inclusion est directement liĂ© Ă la subjectivitĂ© du designer, dans son rapport Ă ses propres capacitĂ©s d’abord. Si je suis gaucher par exemple, je vais naturellement crĂ©er un objet que je puisse manipuler. Il serait ainsi difficile, sans ĂŞtre insurmontable, de se mettre Ă la place d’un autre et d’imaginer les barrières Ă un usage tel qu’on se l’imagine.
L’autrice interroge Ă©galement le modèle de la courbe de Gauss, ou loi normale[2] : lĂ oĂą se trouvent 80% de la population, dans le jargon. Quand je conçois des produits avec ce que l’on considère ĂŞtre la « normalitĂ© », 20% des personnes sont de facto exclues du pĂ©rimètre. Est-ce beaucoup, 20%, d’après vous?
Sans vouloir dĂ©voiler tout le contenu du livre, je termine en mentionnant qu’il traite des percĂ©es en design inclusif. Kat Holmes donne la preuve qu’elles peuvent mener Ă des inventions majeures, qui dĂ©passent souvent l’objet premier de leur finalitĂ©.
[1] “Que se passe-t-il lorsqu’un objet conçu nous rejette ? Une porte qui ne s’ouvre pas. Un système de transport en commun qui ne dessert pas notre quartier. Une souris d’ordinateur qui ne fonctionne pas pour les gauchers. Un système de paiement Ă Ă©cran tactile dans une Ă©picerie qui ne fonctionne que pour les personnes qui lisent des phrases en anglais, ont une vision de 20/20 et utilisent une carte de crĂ©dit. Lorsque nous sommes exclus par ces conceptions, comment cela façonne-t-il notre sentiment d’appartenance au monde ?”
“What happens when a designed object rejects us? A door that won’t open. A transit system that won’t service our neighborhood. A computer mouse that doesn’t work for people who are left- handed. A touch-screen payment system at a grocery store that only works for people who read English phrases, have 20/20 vision, and use a credit card. When we’re excluded by these designs, how does it shape our sense of belonging in the world?”.
(p4, 2018, Holmes)
[2] Une référence aux lois de probabilités tombée dans « l’entendement » commun en entreprise, et dont la connaissance plus précise nous permettrait un usage plus adéquat ?
Les rêves de mon père (Dreams from My Father), Barrack Obama
L’histoire des jeunes années de Barrack Obama, élevé par sa mère et ses grands-parents maternels. Il grandit dans une famille aimante et qui accepte son sang mêlé. Un récit qui met en évidence l’influence omniprésente de son père Kényan. C’est une influence à la fois morale et physique qui transcende le temps et l’espace. Dans cet ouvrage, Barrack Obama ne cesse d’interroger comment vivre sa propre identité, et, à travers elle, comment les Etats-Unis vivent leur identité multiculturelle. La quête de Barrack Obama se nourrit de ses engagements sur le terrain, auprès de populations afro-américaines. Il narre leur élans, tantôt résignés, tantôt combatifs. Ces populations portent à la fois le poids enfermant du rejet et l’espoir secrètement contenu d’appartenir. Non pas d’appartenir à leur communauté, ni d’appartenir à la communauté « blanche ». Celui d’appartenir à une Amérique devenue et en devenir : celle qui est multiple.
La lecture de cet ouvrage nous plonge dans les racines de l’ancien POTUS (President Of The United States). Nous découvronsles motivations d’un homme pour (ré)concilier l’Amérique dans toute sa diversité.
Je vous laisse apprĂ©cier ces trois ouvrages Ă la lumière de la question : « le rejet pourrait-il ĂŞtre une force motrice pour l’inclusion? » Il semblerait que oui.
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* il semblerait qu’il faille utiliser le fĂ©minin, car nous faisons rĂ©fĂ©rence Ă la maladie au coronavirus 19 (Coronavirus Disease 2019)